ROSPOR EDEN

Rosporden 2023, HPPR rend hommage à Pierre Loti et en particulier à son oeuvre "Mon frère Yves"
Affichage des articles dont le libellé est Extraits Pierre Loti. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Extraits Pierre Loti. Afficher tous les articles

Lettre de Pierre LOTI à Mme Juliette ADAM depuis Rosporden

 


WYLIE, Robert, peintre américain, "La Sorcière bretonne" 1872


La sorcière bretonne,1872 (click sur l'image pour l'agrandir)

"Auprès du petit enfant, il y a ce matin un nouveau personnage, une vieille très laide et très extraordinaire, qui fait son entendue et à qui on obéit c'est la sage-femme, à ce qu'il parait. Elle a l'air un peu sorcière, dit Anno, qui devine mon impression mais c'est une très bonne femme.
Oh oui, une très bonne femme, appuie le vieux Corentin c'est un air qu'elle a comme cela, monsieur, mais elle ne manque pas de religion, et même elle a obtenu de grandes bénédictions, l'an passé, au pèlerinage de Sainte-Anne. Cassée en deux comme Carabosse, un nez crochu en bec de chouette et des petits yeux gris bordés de rouge, qui clignotent très vite comme ceux des poules, elle va de droite et de gauche, affairée, avec sa grande collerette de cérémonie toute raide; quand elle parle, sa voix surprend comme un son de la nuit on croirait entendre la hulotte des sépulcres".

Pierre LOTI, Mon frère Yves (pour lire la suite, cliquez ici)

Journal intime de Pierre LOTI, 1878-1881

 DE PIERRE LOTI A PLUMKETT (*)

A bord du Friedland, Cherbourg, 28 juillet 1980

"Mon cher ami,

>>(...) les quelques jours que je viens de passer auprès de mon frère Yves et de sa femme Marie Kermadec, m'ont fait un bien extrême : ils m'ont donné du courage et je voudrais vous en communiquer un peu. 

>>Avec Yves, je suis simple, et cela me repose. Vous avez  raison, il y a, sur moi, une foule de couches disparates, superposées par les circonstances, par les milieux, par le temps. Les gens qui m'entourent rencontrent l'une ou l'autre de ces couches artificielles, suivant ce qu'ils sont, suivant ce qu'ils m'inspirent. La couche profonde, peut-être soupçonnée par vous, n'a été atteinte que par ce frère simple. Il n'est pas assez cultivé pour comprendre, malgré sa rare intelligence : il les devine et il les dédaigne, longtemps elles l'ont tenu éloigné de moi. Mais, tout au fond de moi-même, il y a beaucoup de simplicité, presque une simplicité d'enfant...

>>(...) Leur maison était finie de bâtir, non sans peine et sans efforts, et ma chambre blanche prête à me recevoir. Ils tirent partie des moindres choses comptant sur l'avenir, et un beau petit enfant frais et vigoureux égaie leur pauvreté charmante..Que sont nos existences égoïstes, détraquées, blasées auprès de ces existences-là ?

Voici la maison, gaie et blanche, toute neuve, ...

>>(...) Rien de plus dangereux, de plus malsain que ces existences nerveuses et factices que nous nous sommes créées, vous et moi, mon cher ami. Mariez-vous bien vite, tâchez d'être simple, de vous faire une vie de famille, douce et honnête, et de croire en Dieu.

> Votre affectionné, 

> PIERRE LOTI >

(*) Le commandant JOUSSELIN)

Source : Journal intime de Pierre LOTI, 1878-1881, publié par son fils Samuel VIAUD

Références aux costumes bretons ("Mon frère Yves")

Toutes les femmes viennent derrière des corselets noirs tout brodés d'yeux.

Les corselets brodés d'œillets bleus

Anne ne portait plus son beau costume de fête: elle avait mis une grande collerette unie et une coiffe plus simple. Sa robe bretonne en drap bleu était ornée de broderies jaunes sur chaque côté de son corsage, c'étaient des dessins imitant de ces rangées d'yeux comme en ont les papillons sur leurs ailes.


Du fond de ces longs couloirs de verdure, on les voyait venir avec leurs collerettes, avec leurs hautes coiffes blanches, dont les pans retombaient symétriques sur leurs oreilles, comme des bonnets d'Égyptiens. Leur taille était très serrée dans des doubles corsages de drap bleu qui ressemblaient à des corselets d'insectes et sur lesquels étaient brodées toujours les mêmes bigarrures, les mêmes rangées d'yeux de papillon.


Anne est vêtue d'un costume de drap noir dont le corsage ouvert est brodé de soies de toutes couleurs et de paillettes d'argent. Elle porte un devantier de moire bleue et, débordant sur ses épaules, une collerette blanche à mille plis, qui se tient rigide comme une fraise du XVIe siècle.

Chapelle de Bonne Nouvelle, été 2023, HPPR

Le vieux Corentin Keremenen était de retour, en effet, de son travail aux champs et nous attendait sur sa porte. Même, il avait eu le temps de faire sa toilette, il avait mis son grand chapeau à boucle d'argent et sa veste des fêtes en drap bleu, ornée de paillettes de métal et d'une broderie dans le dos, représentant le saint sacrement.

Lettre signée Julien Viaud (Pierre Loti), Rosporden, mai 1882

 


"Mon petit logis clandestin (...) auprès de moi, il y a mon filleul "

 

Source : Lettres de Pierre Loti à Mme Juliette Adam (1880-1922) / [préf. de Juliette Adam], Gallica

Pierre Loti, Rosporden dans le retroviseur

Source : Prime Jeunesse suivi de Un jeune officier pauvre, Calmann-Levy, Ed, 1937, p.308
 

Pierre LOTI, tristes pensées prospectives

 

Texte extrait de  POSTIC, Fañch : Loti chez son frère Yves, Armen, n° 132, janvier-février 2003

Ill. RENEFER "La longue chaîne de gavotte, menée par la voie aigre des cornemuses"

RosporEden, Journal intime de Pierre LOTI / Illustrations de RENEFER

Ill RENEFER de MFY /Texte : Journal intime de Pierre LOTI 1878 - 1881, publié par son fils Samuel VIAUD, 1925

   

Mon frère Yves (découverte de Toulven)

 Yves a reçu de Toulven, du vieux Keremenen, la dépêche suivante :

« Petit garçon né cette nuit. Se porte très bien, Marie aussi.» CORENTIN KEREMENEN. »

La nuit venue et nous couchés, impossible de dormir. J'entends Yves dans son lit qui se tourne, se vire, comme il dit avec son accent breton. A l'idée qu'il ira demain à Toulven voir ce petit nouveau-né, son bon et brave cœur déborde de toute sorte de sentiments dans lesquels il ne se reconnait plus.

...Deux jours après lui, je dois, moi aussi, me rendre à Toulven pour le baptême.

Et il fait mille projets pour cette cérémonie -Je n'ose pas vous le dire, mais, si vous vouliez, à Toulven, manger chez nous? Dame, vous savez, chez mon beau-père ça n'est pas comme à la ville, bien sûr.

XLIII

Brest, 15 juin 1878.

Dès le matin, je pars pour Toulven, où Yves m'attend depuis hier.

Temps splendide. La vieille Bretagne est verte et fleurie. Tout le long du chemin, de grands bois, des rochers.

Yves est là à l'arrivée de la diligence que j'ai prise à Bannalec. Près de lui se tient une jeune fille de dix-huit ou vingt ans qui rougit, bien jolie sous sa grande coiffe.

-        - Voici Anne, me dit Yves, ma belle-sœur, la marraine.

Il y a encore une petite distance entre le bourg et la chaumière qu'ils habitent à Trémeulé en Toulven.

Des gars du village chargent mes malles sur leurs épaules, et me voilà en route pour faire ma visite au goéland qui vient de naître; pour faire connaissance aussi avec cette famille de bas Bretons, dans laquelle mon pauvre Yves est entré par coup de tête, sans trop savoir pourquoi.

Comment seront-ils, ces nouveaux parents de mon frère Yves, et ce pays qui va devenir le sien?

Mon frère Yves (petit goéland)

 XLIV

Nous nous acheminons tous trois par des sentiers creux très profonds, qui fuient devant nous sous le couvert des hêtres et qui sont tout pleins de fougères.

C'est le soir; le ciel est couvert, et il fait dans ces chemins une espèce de nuit qui sent le chèvrefeuille.

Çà et là sont rangées, au bord, des chaumières grises, très antiques, tapissées de mousse.

… Il y en a une d'où part une chanson à dormir, chantée en cadence lente par une voix très vieille aussi

Boudoul, boudoul, galaïchen !

Boudoul, boudoul, galaïch du … !

- C'est lui qu'on berce, dit Yves en souriant. Voici chez nous.

Elle est à moitié enfouie et toute moussue, cette chaumière des vieux Keremenen. Les chênes et les hêtres étendent au-dessus leur voûte verte elle semble aussi ancienne que la terre des chemins. Au dedans, il fait sombre; on voit les lits en forme d'armoire alignés avec les bahuts le long du granit brut des murs.

Une grand'mère en large collerette blanche est là qui chante auprès du nouveau-né, qui chante un air du temps de son enfance.

Dans un berceau d'une modo bretonne d'autrefois, qui, avant lui, avait bercé ses ancêtres, est couché le petit goéland un gros bébé de trois jours tout rond, tout noir, déjà basané comme un marin et qui dort, les poings fermés sous son menton. Il a de tout petits cheveux qui sortent de son bonnet sur son front comme des petits poils de souris. Je l'embrasse, et de tout mon cœur, parce que c'est le bébé d'Yves.

-        Pauvre petit goéland lui dis-je en touchant le plus doucement possible ses petits cheveux de souris, il n'a pas encore beaucoup do plumes.

-        C'est vrai, dit Yves en riant. Et puis, regardez, ajoute-t-il en étendant avec des précautions infinies la petite patte fermée dans sa main rude, je ne l'ai pas très bien réussi il n'a pas du tout la peau d'entre-doigts !

On nous dit que Marie Kermadec est couchée dans un de ces lits dont on a reformé sur elle la petite porte de bois à jour, parce qu'elle vient de s'endormir; nous baissons la voix de peur de l'éveiller, et nous sortons, Yves et moi, pour aller faire dans le village plusieurs démarches que nécessite la solennité de demain.

XLV

Nous trouvons drôle de nous voir tous deux faisant acte de citoyens comme tout le monde. Chez M. le maire, chez M. le curé, nous nous sentons très empruntés, ayant même par instants des envies de rire.

Petit goéland est définitivement inscrit au registre de Toulven sous les prénoms de Yves Pierre,—celui de son père et le mien, comme c'est l'usage dans le pays. Quant à M. le curé, il est convenu avec lui qu'il nous attendra demain matin, à neuf heures, à l'église, qu'il y aura un Te Deum.

-        Maintenant rentrons tout droit, dit Yves le père doit être déjà de retour, et nous les retarderions pour souper.

Mon frère Yves (un grand repas)

 XLVI

La nuit de juin descendait doucement, avec beaucoup de calme et de silence, sur le pays breton. Dans le chemin creux, on commençait à ne plus y voir.

Le vieux Corentin Keremenen était de retour, en effet, de son travail aux champs et nous attendait sur sa porte. Même il avait eu le temps de faire sa toilette, il avait mis son grand chapeau à boucle d'argent et sa veste des fêtes en drap bleu, ornée de paillettes de métal et d'une broderie dans le dos, représentant le saint sacrement.

… Il y a une agitation joyeuse dans cette chaumière, un air des grands jours. Les chandeliers de cuivre sont allumés sur la table, qui est recouverte d'une belle nappe. Les bahuts, les escabeaux, les vieilles boiseries de chêne reluisent comme des miroirs on sent qu'Yves a passé par là.

Ces chandeliers n'éclairent pas loin et il y a dans cette chaumière des recoins noirs on voit s’émouvoir de grandes choses bien blanches, qui sont les coiffes à larges ailes et les collerettes plissées des femmes; autrement les fonds sont très obscurs la lumière vient mourir en tremblotant sur le granit des murailles, sur les solives irrégulières et noircies par le temps qui portent le chaume du toit. Toujours ce chaume et ce granit brut qui jettent encore dans les villages bretons une note de l'époque primitive.

… On apporte sur la table la bonne soupe qui fume et nous nous asseyons alentour, Yves à ma gauche, Anne à ma droite.

C'est un grand repas, plusieurs poulets à diverses sauces, des crêpes de sarrasin, des omelettes au lard et au sucre, du vin et du cidre doré qui mousse dans nos verres.

Yves me dit à part, tout bas

-        C'est un très bon homme, mon beau-père; et ma belle-mère Marianne, vous ne pouvez pas vous figurer quelle bonne femme elle est. J'aime beaucoup mon beau-père et ma belle-mère.

Dans la soirée, une jeune fille apporte du village des choses empesées de frais, très encombrantes. Anne se dépêche de serrer tout cela dans un bahut, pendant qu'Yves m'envoie un coup d'œil d'intelligence, disant :

-        - Vous voyez, tous ces préparatifs en votre honneur !

J'avais bien deviné ce que c'était la coiffe de cérémonie et l'immense collerette brodée de mille plis, qui doivent la parer pour la fête de demain matin.

De mon côté, j'ai différents petits paquets que je désire faire sortir inaperçus de ma malle, avec l'aide d'Yves : des bonbons, des dragées, une croix d'or pour la marraine. Mais Anne aussi a vu tout cela du coin de son œil et se met à rire. Tant pis ! et on ne peut pas réussir à se faire des mystères dans un logis où il n'y a qu'une seule porte et qu'un seul appartement pour tout le monde.

Petit Pierre, lui, toujours tout rond comme un bébé de bronze, continue de dormir dans la même pose, les poings fermés sous le menton, jamais bébé naissant ne fut si beau ni si sage.

… Quand je prends congé d'eux tous, Yves se lève aussi pour venir me conduire jusqu'au village, où je dois coucher à l'auberge.

…Dehors, dans le sentier creux, sous les branches, il fait absolument noir on y est enveloppé d'une obscurité double, celle des grands arbres et celle de la nuit.

C'est un genre de calme auquel nous ne sommes plus habitués, celui des bois. Et puis la mer n'est pas là, ce pays de Toulven en est très éloigné. Nous écoutons, il nous semble toujours, que nous devons entendre dans le lointain son bruit familier mais non, c'est partout le silence. Rien que des frôlements à peine perceptibles dans l'épaisseur verte, faibles bruits d'ailes qui s'ouvrent, trémoussements légers d'oiseaux qui ont de petits rêves dans leur sommeil.

On sent toujours les chèvrefeuilles mais, avec la nuit, il est venu une fraicheur pénétrante et des odeurs de mousse, de terre, d'humidité bretonne.

Toutes ces campagnes qui dorment, toutes ces collines boisées qui nous entourent, tous ces sommeils d'arbres, toutes ces tranquillités nous oppressent. Nous nous sentons un peu des étrangers au milieu de tout cela, et la mer nous manque, la mer, qui est en somme le grand espace ouvert, le grand champ libre sur lequel nous nous sommes accoutumés à courir.

Yves subit ces impressions et me les exprime d'une manière naïve, d'une manière à lui, qui n'est guère intelligible que pour moi. Au milieu de son bonheur, une inquiétude le trouble ce soir, presque un regret d'être venu étourdiment fixer sa destinée dans cette chaumière perdue.

Et puis nous rencontrons un calvaire, qui tend dans l'obscurité ses deux bras gris, et nous songeons à toutes ces vieilles chapelles de granit, qui sont posées çà et là autour de nous, isolées au milieu des bois de hêtres et dans lesquelles veillent des esprits de morts.

Mon frère Yves (la veille du baptême)

 XLVII  

Le lendemain jeudi, 16 du mois de juin 1878, par un temps radieux, le cortège de baptême s'organise dans la chaumière des vieux Keremenen. Anne, le dos tourné dans un coin, ajuste sa grande coiffe devant un miroir, un peu embarrassée d'être obligée de faire cela devant moi mais les chaumières de Bretagne ne sont pas grandes, et elles n'ont pas d'autres séparations au dedans que les petites armoires où l'on dort.

Anne est vêtue d'un costume de drap noir dont le corsage ouvert est brodé de soies de toutes couleurs et de paillettes d'argent elle porte un devantier de moire bleue, et, débordant sur ses épaules, une collerette blanche à mille plis qui se tient rigide comme une fraise du XVIe siècle. Moi, j'ai pris un uniforme aux dorures toutes fraîches, et nous produirons certainement un bon effet tout à l'heure, nous donnant le bras, dans le sentier vert.

Auprès du petit enfant, il y a ce matin un nouveau personnage, une vieille très laide et très extraordinaire, qui fait son entendue et à qui on obéit c'est la sage-femme, à ce qu'il parait. Elle a l'air un peu sorcière, dit Anno, qui devine mon impression mais c'est une très bonne femme.

Oh oui, une très bonne femme, appuie le vieux Corentin c'est un air qu'elle a comme cela, monsieur, mais elle ne manque pas de religion, et même elle a obtenu de grandes bénédictions, l'an passé, au pèlerinage de Sainte-Anne. Cassée en deux comme Carabosse, un nez crochu en bec de chouette et des petits yeux gris bordés do rouge, qui clignotent très vite comme ceux des poules, elle va de droite et de gauche, affairée, avec sa grande collerette de cérémonie toute raide; quand elle parle, sa voix surprend comme un son de la nuit on croirait entendre la hulotte des sépulcres.

Yves et moi, nous n'aimions pas d'abord cette vieille auprès du nouveau-né mais nous songeons ensuite que, depuis cinquante ans, elle préside aux naissances des petits enfants du pays de Toulven, sans avoir jamais porté malheur à aucun, bien au contraire. D'ailleurs, elle observe en conscience tous les rites anciens, tels que faire boire au petit avant le baptême un certain vin dans lequel on a trempé l'anneau du mariage de sa mère, et plusieurs autres qui ne devraient jamais être négligés. 

On y voit juste autant qu'il faut, dans cette chaumière, très enterrée et très à l'ombre. Le jour entre un peu par la porte; au fond, il y a aussi une lucarne ménagée dans l'épaisseur du granit, mais les fougères l'ont envahie on les voit par transparence, comme les fines découpures d'un rideau vert.

 Enfin petit Pierre a terminé sa toilette, et sans pousser un cri. Je l'aurais mieux aimé en petit Breton mais non, il est tout en blanc, le fils d'Yves, avec une longue robe brodée et des nœuds de ruban, comme un petit monsieur de la ville. Il a l'air encore plus vigoureux et plus brun dans ce costume de poupée; les pauvres petits bébés des villes, qui vont au baptême dans des toilettes pareilles, n'ont pas, en général, un sang si vivace et si fort.

Par exemple, je suis forcé de reconnaitre qu'il n'est pas encore bien joli il est probable que cela viendra plus tard; mais, pour le moment, il Il un minois bouffi de petit chat naissant.

Mon frère Yves ( le jour du baptême, le cortège)

Dehors, dans le sentier plein de fougères, sous la voûte verte, s'agitent déjà quelques grandes coiffes blanches de jeunes filles et des corsages de drap à broderies comme celui d'Anne. Elles sont sorties des chaumières voisines et rendent pour nous voir passer.

Bras dessus bras dessous, Anne et moi, nous nous mettons en route. Petit Pierre prend les devants, sur les bras de la vieille au nez d'oiseau, qui trotte vite et menu, avec un déhanchement bizarre comme les vieilles fées. Et le grand Yves marche derrière nous, dans ses habits de mariage, très grave, un peu étonné d'être à pareille fête, un peu intimidé aussi de dénier tout seul, mais c'est la coutume. Par le beau matin de juin, nous descendons gaiment le sentier breton au-dessus de nos têtes, le couvert des chênes et des hêtres tamise des petits ronds de lumière qui tombent par milliers à travers la verdure comme une pluie blanche. Les clématites pendent, mêlées au chèvrefeuille, et les oiseaux chantent tous la bienvenue au petit goéland, qui fait sa première apparition au soleil.

Nous voici dans Toulven, qui est presque une petite ville. Les bonnes gens sont sur leur porte, et nous défilons tout le long de la grand'rue pour aller à l'église.

Elle est très ancienne, cette église de Toulven; elle s'élève toute grise dans le ciel bleu, avec sa haute flèche de granit à jours, que par place les lichens ont dorée. Elle domine un grand étang immobile avec des nénufars, et une série do coltines uniformément boisées qui font par derrière un horizon sans âge.

Tout autour, un antique enclos c'est le cimetière. Des croix bordent la sainte allée; elles sortent d'un tapis de fleurs, d'œillets, de giroflées, de blanches marguerites. Et dans les recoins plus abandonnés où le temps a nivelé les hottes de gazon, il y a des Heurs encore pour les morts les silènes et les digitales des champs de Bretagne; la terre en est toute rose. Les tombes se pressent là, aux portes de l'église séculaire, comme un seuil mystérieux de l'éternité cette grande chose grise qui s'élève, cette flèche qui essaye de monter, il semble, en effet, que tout cela protège un peu contre le néant en se dressant vers le ciel, cela appelle et cela supplie et c'est comme une éternelle prière immobilisée dans du granit. Et les pauvres tombes enfouies sous l'herbe attendent là, plus confiantes, à ce seuil d'église, le son de la dernière trompette et des voix do l'Apocalypse.

Là aussi, Anna doute, quand, moi, je serai mort ou cassé par la vieillesse, là on couchera mon frère Yves il rendra à la terre bretonne sa tête incrédule. et son corps qu'il lui avait pris. Plus tard encore y viendra dormir le petit Pierre, ai la grande mer no nous l'a pas gardé, et, sur leurs tombes, les fleurs roses des champs do Bretagne, les digitales sauvages, l'herbe haute de juin, pousseront comme aujourd'hui, au beau soleil des étés.

Mon frère Yves (le baptême)

 Sous le porche de l'église, il y avait tous los enfants du village qui semblaient très recueillis. M. le curé était là aussi qui nous attendait dans ses habits de cérémonie.

C'était un porche d'une architecture très primitive, et dont bien des générations bretonnes avaient usé les pierres il y avait des saints difformes, taillés dans le granit, qui étaient alignés comme des gnomes.

La cérémonie fut longue à cette porte. La vieille à tête de chouette avait posé le petit Pierre dans nos mains, et nous le tenions à deux avec la marraine, comme le veut l'usage, elle du côté des pieds et moi du côté do la tête. Yves, adossé au pilier do granit, nous regardait faire d'un air très rêveur, et Anne était bien jolie, sous ce porche gris, avec son beau costume et sa grande fraise, tout en lumière, dans un rayon do soleil.

Petit Pierre marqua une légère grimace ot passa sur sa lèvre le bout de sa toute petite langue, d'un air mécontent, quand on lui fit goûter le sol, emblème des amertumes de la vie.

M. le curé récita de longs oremus en latin, après quoi, il dit dans la même langue au petit goéland : Ingredere, Petre, in domum Domini. Et alors nous entrâmes dans l'église.

Des saintes qui étaient là, dans des niches, en costume du XVIe siècle, regardaient petit Pierre faire son entrée, de ce même air placide et mystique avec lequel elles ont vu naitre et mourir dix générations d'hommes.

Sur les fonts baptismaux ce fut encore fort long, et puis il nous fallut faire station, Anne et moi, devant la grille du chœur, agenouillée comme deux nouveaux époux.

Enfin, je dus prendre à moi tout seul le fils d'Yves, que je tremblais de briser dans mes mains inhabiles, monter les marches do l'autel avec ce précieux petit fardeau, et lui faire embrasser la nappe blanche sur laquelle pose le saint-sacrement. Je me sentais très gauche en uniforme, j'avais l'air do porter un poids des plus lourds. Je ne m'imaginais pas que ce fût une chose si difficile de tenir ua nouveau-né; encore il était endormi : s'il eût été en mouvement, jamais je n'aurais pu réussir.

Tous les enfants du village nous guettaient au départ, de petits gars bretons avec des mines effarouchées, des joues bien rondes et de longs cheveux. Les cloches sonnaient joyeusement en haut de l'antique flèche grise et le Te Deuna venait d'éclater derrière nous, ent à pleine voix par des petits enfants de chœur en robe rouge et surplis blanc.

 On nous laissa passer, encore tranquilles et recueillis, dans l'allée fleurie que bordaient les tombes; -mais après,quand nous fûmes dehors! 

Petit Pierre, cause de tout ce tapage, était parti devant, emporté de plus en plus vite par la vieille au nez crochu, et dormant toujours de son sommeil innocent. Anne et moi, nous étions assaillis petits garçons et petites filles nous entouraient avec des cris et des gambadas ; il y en avait de ces petites qui avaient bien cinq ans, et qui portaient déjà de grandes collerettes et grandes coiffes pareilles à celles de leurs mères ; et elles sautaient autour de nous, comme des petites poupées très comiques.

C'était singulier, la joie de ce petit monde breton, rose avec do longs cheveux de soie jaune à peine éclos à la vie, et déjà dans des costumes et des modes du vieux temps; - exubérants d'une joie inconsciente, —comme autrefois leurs ancêtres, et ils sont morts Joie de la vie toute neuve, joie comme en ont les petits chats, les cabris, et, après dix ans, ils meurent les pe'its chiens, les petits moutons ont de ces joies et font des sauts d'enfants, et cela passe et on les tue !

Nous leur jetions des poignées de dragées, et toute notre route était semée de bonbons. On se souviendra longtemps dans Toulven de ce baptême du petit goéland.

Après, nous retrouvâmes le calme du sentier breton, la longue allée verte, et, au bout, le hameau sauvage.

JI était maintenant près de midi les papillons et les mouches volaient par bandes le long du chemin.

Mon frère Yves ( le jour du baptême, le dîner)

 Il faisait très chaud pour un temps de Bretagne. En plein jour, c'était un vrai jardin que ce toit de chaume des vieux Keremenen une quantité de petites fleurs blanches, jaunes, roses, s'y étaient installées en compagnie d'une grande variété de fougères, et le soleil s'éparpillait dessus, toujours tamisé par les chênes.

Au dedans, il faisait encore frais, dans le demi-jour un peu vert, sous la voûte basse et noire des vieilles solives.

Le dîner était prêt sur la table, et la femme d'Yves, qui s'était levée pour la première fois. nous attendait, assise à sa place, dans ses beaux habits de fête. En quelques jours, sa jeunesse s'était envolée, elle était pâle et maigrie. Yves la regarda avec un air de surprise déçue qu'elle put voir puis, comprenant que c'était mal, il alla l'embrasser avec affection, un peu en grand seigneur. Et, moi, j'augurais de tristes choses de cette entrevue de désenchantement.

Toutefois ce dîner du baptême fut gai. Il se composait d'un grand nombre de plats bretons et dura fort longtemps.

Au dessert, on entendit dehors marmotter très vite, à deux voix, en langue do basse Bretagne, des espèces de litanies. C'étaient deux vieilles, deux pauvresses, qui se donnaient le bras, appuyées sur des bâtons, comme font les fées quand elles prennent forme caduque pour n'être pas reconnues. Elles demandèrent à entrer, étant venues pour dire la bonne aventure au petit Pierre. Sur son berceau de chêne où on le balançait doucement, elles firent des prédictions très heureuses, et puis se retirèrent en bénissant tout le monde.

Alors on leur remit de grosses aumônes, et Anne leur fit des tartines beurrées.


Mon frère Yves (la promenade du soir)

 XLIX 

Le soir, après souper, nous fîmes une promenade beaucoup plus calme que celle du jour, Anne, Yves et moi.

Et, à neuf heures, nous étions assis au bord d'un grand chemin qui traversait les bois. Ce n'était pas encore la nuit, tant sont longues en Bretagne les soirées du beau mois de juin mais nous commencions tout de même à causer des fantômes et des morts.

Anne disait

-        L'hiver, quand les loups viennent, nous les entendons de chez nous mais quelquefois les revenants aussi, monsieur, se mettent à crier comme eux.

Ce soir-là, on entendait seulement passer les hannetons et les cerfs-volants qui traversaient l'air tiède en dérivant des courbes, avec de petits bourdonnements d'été. Et puis, dans le lointain du Lois Hou hou un appel triste, chanté tout doucement d'une voix de hibou.

Et Yves disait

-        Écoutez, frère, les perruches de France qui chantent (c'était un souvenir de sa perruche de la Sibylle).

Les graminées légères, avec leurs fleurs do poussière grise, étendaient sur la terre une couche très haute, à peine palpable, où l'on enfonçait; et les dernières phalènes, qui avaient fini de courir, plongeaient les unes après les autres dans ces épaisseurs d'herbe, pour prendre leur poste de sommeil le long des tiges.

Et l'obscurité venait, lente et calme, avec un air de mystère.

Passa un jeune gars breton qui portait un bissac sur l'épaule, et s'en revenait gris du pardon de Lannildu, la plume de paon au chapeau. (Je ne sais pas bien ce que vient faire ceci dans l'histoire d'Yves je raconte au hasard des choses qui sont restées dans ma mémoire.) Il s'arrêta pour nous faire un discours. Après quoi, en manière de péroraison, et montrant son bissac

Tenez, dit-il, j'ai deux chats là dedans. (Cela n'avait aucun rapport avec ce qu'il venait de nous dire).

Il posa son fardeau par terre et jeta son grand chapeau dessus. Alors ce bissac se mit à jurer, avec do grosses voix de matous en colère, et à circuler par soubresauts sur le chemin.

Quand nous fûmes bien convaincus que c'étaient des chats, il remit le tout sur son épaule, salua, et continua sa route.