Sous le porche de l'église, il y avait tous los enfants du village qui semblaient très recueillis. M. le curé était là aussi qui nous attendait dans ses habits de cérémonie.
C'était un porche d'une architecture très primitive, et dont bien des
générations bretonnes avaient usé les pierres il y avait des saints
difformes, taillés dans le granit, qui étaient alignés comme des gnomes.
La cérémonie fut longue à cette porte. La vieille à tête de chouette avait
posé le petit Pierre dans nos mains, et nous le tenions à deux avec la marraine,
comme le veut l'usage, elle du côté des pieds et moi du côté do la tête. Yves, adossé au
pilier do granit, nous regardait faire d'un air très rêveur, et Anne était bien
jolie, sous ce porche gris, avec son beau costume et sa grande fraise, tout en lumière, dans un
rayon do soleil.
Petit Pierre marqua une légère grimace ot passa sur sa lèvre le bout de sa
toute petite langue, d'un air mécontent, quand on lui fit goûter le sol, emblème
des amertumes de la vie.
M. le curé récita de longs oremus en latin, après quoi, il dit dans la
même langue au petit goéland : Ingredere, Petre, in domum Domini. Et alors nous entrâmes dans
l'église.
Des saintes qui étaient là, dans des niches, en costume du XVIe siècle,
regardaient petit Pierre faire son entrée, de ce même air placide et mystique avec lequel elles ont
vu naitre et mourir dix générations d'hommes.
Sur les fonts baptismaux ce fut encore fort long, et puis il nous fallut
faire station, Anne et moi, devant la grille du chœur, agenouillée comme
deux nouveaux époux.
Enfin, je dus prendre à moi tout seul le fils d'Yves, que je tremblais de
briser dans mes mains inhabiles, monter les marches do l'autel avec ce précieux
petit fardeau, et lui faire embrasser la nappe blanche sur laquelle pose le
saint-sacrement. Je me sentais très gauche en uniforme, j'avais l'air do porter un
poids des plus lourds. Je ne m'imaginais pas que ce fût une chose si difficile de tenir ua nouveau-né; encore il était endormi :
s'il eût été en mouvement, jamais je n'aurais pu réussir.
Tous les enfants du village nous guettaient au départ, de petits gars
bretons avec des mines effarouchées, des joues bien rondes et de longs cheveux.
Les cloches sonnaient joyeusement en haut de l'antique flèche grise et le Te
Deuna venait d'éclater derrière nous, ent à pleine voix par des petits enfants
de chœur en robe rouge et surplis blanc.
On nous laissa passer, encore
tranquilles et recueillis, dans l'allée fleurie que bordaient les tombes; -mais
après,quand nous fûmes dehors!
Petit Pierre, cause de tout ce tapage, était parti devant, emporté de plus
en plus vite par la vieille au nez crochu, et dormant toujours de son sommeil
innocent. Anne et moi, nous étions assaillis petits garçons et petites filles
nous entouraient avec des cris et des gambadas ; il y en avait de ces
petites qui avaient bien cinq ans, et qui portaient déjà de grandes collerettes
et grandes coiffes pareilles à celles de leurs mères ; et elles sautaient autour de
nous, comme des petites poupées très comiques.
C'était singulier, la joie de ce petit monde breton, rose avec do longs
cheveux de soie jaune à peine éclos à la vie, et déjà dans des costumes et des
modes du vieux temps; - exubérants d'une joie inconsciente, —comme autrefois
leurs ancêtres, et ils sont morts Joie de la vie toute neuve, joie comme en ont
les petits chats, les cabris, et, après dix ans, ils meurent les pe'its
chiens, les petits moutons ont de ces joies et font des sauts d'enfants, et
cela passe et on les tue !
Nous leur jetions des poignées de dragées, et toute notre route était semée
de bonbons. On se souviendra longtemps dans Toulven de ce baptême du petit
goéland.
Après, nous retrouvâmes le calme du sentier breton, la longue allée verte,
et, au bout, le hameau sauvage.
JI était maintenant près de midi les papillons et les mouches
volaient par bandes le long du chemin.