Dehors, dans le sentier plein de fougères, sous la voûte verte, s'agitent déjà quelques grandes coiffes blanches de jeunes filles et des corsages de drap à broderies comme celui d'Anne. Elles sont sorties des chaumières voisines et rendent pour nous voir passer.
Bras dessus bras dessous, Anne et moi, nous nous mettons en route. Petit
Pierre prend les devants, sur les bras de la vieille au nez d'oiseau, qui
trotte vite et menu, avec un déhanchement bizarre comme les vieilles fées. Et
le grand Yves marche derrière nous, dans ses habits de mariage, très grave, un
peu étonné d'être à pareille fête, un peu intimidé aussi de dénier tout seul, mais c'est la coutume. Par
le beau matin de juin, nous descendons gaiment le sentier breton au-dessus de
nos têtes, le couvert des chênes et des hêtres tamise des petits ronds de
lumière qui tombent par milliers à travers la verdure comme une pluie blanche.
Les clématites pendent, mêlées au chèvrefeuille, et les oiseaux chantent tous
la bienvenue au petit goéland, qui fait sa première apparition au soleil.
Nous voici dans Toulven, qui est presque une petite ville. Les bonnes gens sont sur leur porte, et nous défilons tout le long de la grand'rue pour aller à l'église.
Elle est très ancienne, cette église de Toulven; elle s'élève toute grise dans
le ciel bleu, avec sa haute flèche de granit à jours, que par place les lichens ont
dorée. Elle domine un grand étang immobile avec des nénufars, et une série do
coltines uniformément boisées qui font par derrière un horizon sans âge.
Tout autour, un antique enclos c'est le cimetière. Des croix bordent
la sainte allée; elles sortent d'un tapis de fleurs, d'œillets, de giroflées, de
blanches marguerites. Et dans les recoins plus abandonnés où le temps a nivelé
les hottes de gazon, il y a des Heurs encore pour les morts les silènes et les
digitales des champs de Bretagne; la terre en est toute rose. Les tombes se
pressent là, aux portes de l'église séculaire, comme un seuil mystérieux de
l'éternité cette grande chose grise qui s'élève, cette flèche qui essaye de
monter, il semble, en effet, que tout cela protège un peu contre le néant en se
dressant vers le ciel, cela appelle et cela supplie et c'est comme une éternelle
prière immobilisée dans du granit. Et les pauvres tombes enfouies sous l'herbe attendent là, plus
confiantes, à ce seuil d'église, le son de la dernière trompette et des voix do
l'Apocalypse.
Là aussi, Anna doute, quand, moi, je serai mort ou cassé par la vieillesse,
là on couchera mon frère Yves il rendra à la terre bretonne sa tête incrédule. et son corps qu'il
lui avait pris. Plus tard encore y viendra dormir le petit Pierre, ai la grande
mer no nous l'a pas gardé, et, sur leurs tombes, les fleurs roses des champs do
Bretagne, les digitales sauvages, l'herbe haute de juin, pousseront comme
aujourd'hui, au beau soleil des étés.