CARADEC, Th, Au fil de la route bretonne. Paris, Nilsson, 1903. pp. 204-206.
Le costume.
« Elles ont décidément des airs de princesses, ces filles de Pont-Aven, et ils le savent, ces petits masques. Si peur elles ont de nous faire perdre un de leurs regards que jamais, de mémoire d'homme, elles ne baissèrent les yeux ! Ce sont les Arlésiennes du pays de Bretagne ; à cela près, pourtant, qu'au lieu de la flamme noire des yeux de Provence, le plus souvent elles ont des iris bleues, de la tendre couleur du lin mouillé... le diable, qui les visite parfois, leur souffle, paraît-il, des idées de coquetterie et d'élégance : aussi, en vraies filles d'Eve, sont-elles amoureuses des jolies étoffes... et c'est tout un récit que j'ai à vous faire à ce sujet […]
Il y a bien de ceci soixante-dix ans, les femmes portaient la jupe plissée comme un accordéon, le corsage garni d'un mince filet de soie, autour du cou une élégante collerette, et, sur la tête, une coiffe aux ailes larges. Leurs pieds posaient dans des souliers découverts, plaqués d'une boucle d'argent... Et c'était dans les étoffes tout un chatoiement de draps noir, bleus et rouges ; dans les coiffes, l'aguichage de petites glaces, piquées comme des épingles, et, se balançant sur la poitrine, la flamme ardente de cœurs et de croix d'or.
Les hommes avaient les bragou-bras, le paletot ou chupen, garni de broderies en soies de toutes couleurs, avec le Saint-Sacrement dans le dos, le chapeau à bord très large, entouré d'un ruban argenté, qui flottait en arrière.
Vers 1850, le bragou-bras disparut et la jupe plissée alla le rejoindre. De drap sombre, noir ou bleu très foncé, elle n'eut plus pour garniture que de la chenille ou de la dentelle en argent. Le corsage lui-même, pour décor se contenta de maigres passementeries. Dans les croix et les cœurs, l'argent remplaça l'or.
Voici qui ne pouvait guère durer, la coquetterie n'abdiquant jamais ses droits chez « l'éternelle poupée ». Aux alentours de 1875, la richesse des costumes revint en honneur. La jupe devint un vrai objet d'art avec ses grosses chenilles, ses broderies de soie, ses liserés pailletés, ses garnitures de dentelles d'argent, posées sur des transparents de couleur. Sous la coiffe, réduite à des proportions mignonnes, un ruban rose mit en valeur la fine broderie. La collerette, faite à la main, rappela celle de Marie de Médicis. Le tablier rose, bleu ou mauve, cerclé de dentelles argentées fut une pure merveille.
Il y a une dizaine d'années, seulement, parurent les costumes garnis de velours noir, décorés de jais, brodés de paillettes d'or et d'argent..., et ce tablier bleu pâle, semé de fleurettes tramées or, qui est un rêve.
Ce serait une erreur de croire que les hommes restèrent en arrière de ce luxe éblouissant. Pour eux aussi, ce fut une débauche de soie, de velours, de chenilles, de paillettes d'or et argent. Ce qui me ravit, ce qui m'enchante, en me plaçant au seul point de vue des intérêts de l'art, c'est le parfait bon goût, l'exact accord des tons, la fusion harmonique des nuances de tous ces costumes.
Par exemple ces toilettes ne sont pas données […] De cette cherté, il ne faut pas s'étonner. Toutes ces belles choses se font à la main, au grand dam des pauvres ouvrières, dont les yeux sont éblouis, usés, détruits par ces étincellements de paillettes, ces chatoiements de couleurs vives. »
Les noces. Pp. 207-208.
« La messe du mariage vient de se terminer. Le cortège, précédé du biniou et de la musette, est devant le débit où doit avoir lieu le repas. A la porte est dressée une table recouverte d'une nappe blanche comme neige. Sur cette nappe... du pait au lait, du beurre et du cidre...la bouteille et les verres garnis de petits rubans roses... le beurre piqué d'un bouquet de fleurs d'oranger. Avant de pénétrer dans la salle du banquet, les mariés et la famille mangent un morceau de pain, boivent un verre de cidre, dansent quelques gavottes..., puis le repas commence.
Ah ! Quelle ripaille mes amis !
Des rôtis monumentaux, à faire dresser les cheveux à Pantagruel lui-même, des pièces de lard, des montagnes de fard blanc et noir, des pyramides de crêpes suant le beurre... et la goutte, cette satanée goutte, couleur d'or fin, qui fait rouler jeunes comme vieux sous la table ! Les nouveaux mariés, devant lesquels on a placé la bouteille et les verres ornés de rubans roses, ne perdent pas une bouchée de tous ces mets succulents. De temps à autre seulement, ils accompagnent ces formidables « beuveries » de quelque privauté tendre...et l'Amour se déclare satisfait.
Ce qu'il y a de plus amusant, c'est, le soir venu, le coucher des deux « jeunesses », comme on dit chez nous. Les amis et les plus proches parents assistent au déshabillé et à la mise au lit de la mariée, puis vient le tour du marié. A tous deux, on donne un verre de liqueur ; on plaisante, on rit, on danse autour du lit, et le petit Cupidon depuis longtemps a fait des siennes que, sous les fenêtres, on entend encore l'ironique refrain :
Gai, gai, marions-nous,
Mettons-nous la corde au cou ! »