ARDOUIN-DUMAZET, Voyage en France, 53è série. Basse-Bretagne. Paris, Berger-Levrault 1910. Chapitre III, pp. 31-35.
« Par contre, celle ( la vallée) du Jet est longée à distance par une route nationale et, dans le fond, suivie du chemin de fer. Dans ce pli, sauf quelques moulins moussus, on ne voit presque pas une habitation ; les hameaux sont nombreux cependant, sur les hauteurs, mais masqués par les arbres.
Le paysage ne change guère lorsqu'on a franchi, à Rosporden, l'étang formé par l'Aven, une des rivières les plus aimables de Bretagne. Peut-être est-il plus sauvage encore
Ce pays de vallons, de rivières et de bois,
De chapelles sans nombre et de petites croix.[1]
Jusqu'à ces dernières années, on ne pénétrait pas facilement dans ces campagnes où l'on peut trouver la Bretagne la plus bretonnante, le chemin de fer n'avait pas d'arrêt entre les gares de Rosporden et Quimper, sur 20 kilomètres. Aujourd'hui, une halte est établie au pied du village de Saint-Yvi, au cœur de la fraîche vallée du Jet.
Les voyageurs qui passent à Rosporden ont, à la gare même, une image de la Bretagne classique. Derrière le portillon se tient un joueur de biniou en costume national. Grand, bien râblé, il commence sa sérénade dès que le train est arrêté et joue sans désamparer pendant le séjour, parfois assez long, du convoi. Les gros sous lancés par les auditeurs tombent sur le trottoir où le musicien tout à l'heure les ramassera. Sauf cet épisode quotidien et régulier, Rosporden n'a guère l'allure bretonne, la ville primitive a été brûlée par les Espagnols quand ils vinrent apporter leur concours intéressé à la Ligue ; seule l'église fut respectée. Aussi les constructions édifiées sur l'emplacement de la cité détruite n'ont-elles aucun caractère.
Le site est cependant pittoresque : l'étang formé par l'Aven et franchi par les chaussées des chemins de fer de Quimperlé et de Scaër reflète dans ses eaux un cordon de maisons et l'église à demi-entourée par les eaux. Une belle flèche en granit se dresse au centre du décor.
Le croisement des chemins de fer a donné à Rosporden une vie commerciale active ; c'est d'ailleurs le seul rendez-vous pour de vastes campagnes. Dans un cercle de six kilomètres de rayon, il n'y a pas un seul village ; même, au nord,on fait plus de deux lieues pour rencontrer un centre de population. Une infinité de hameaux et de fermes ont donc Rosporden pour marché et point d'expansion vers l'intérieur et la côte.
La partie la plus solitaire est la vallée inférieure de l'Aven. Bien rares sont les habitations au bord du cours d'eau, et même sur les collines. L'humble fleuve roule ses eaux vives dans un couloir solitaire mais verdoyant qui atteint à la grandeur aux approches de Pont-Aven.
Grossi par la petite rivière de Saint-David, il se creuse une véritable gorge entre les pentes raides revêtues de chênes et de hêtres, hérissées de granit. Le défilé est beau, surtout à l'entrée de Pont-Aven où les blocs éboulés obligent l'Aven à des rapides et à des chutes qui ont fait la célébrité de la petite ville. »