ROSPOR EDEN

Rosporden 2023, HPPR rend hommage à Pierre Loti et en particulier à son oeuvre "Mon frère Yves"

LE BRAZ, Anatole (Croquis de Bretagne)

 

LE BRAZ, Anatole / BELTRAND, Tony, Croquis de Bretagne. Paris, Conard, 1902.

Rosporden : La Repasseuse de coiffes

« Le meilleur de la grâce, de la fraîcheur et du charme original des Bretonnes, au moins à les regarder par le dehors, est peut-être dans leur coiffe. La diversité de ces coiffes est, en quelque sorte, infinie. D'une région à l'autre, parfois même d'une paroisse à la paroisse limitrophe, le type change. Et s'il était besoin de chercher un signe manifeste et palpable de l'esprit, particularisme propre à la race, les innombrables différenciations de la coiffure féminine seraient pour le fournir. Chaque terroir conserve jalousement la sienne, non sans une nuance de mépris et presque d'hostilité pour celle du canton voisin. Le bonnet morlaisien, qui retombe en bourse sur la nuque, dévisage de haut le bonnet trégorrois dont le fond est plus aplati. Le départ entre deux variétés de coiffes est souvent difficile à faire pour un observateur, même attentif. Mais les initiés, eux, ne s'y trompent pas, et là où votre œil  croit apercevoir l'unité, leur expérience vous révèle vingt espèces dissemblables , caractérisée par le développement quelque fois imperceptible de tel ou tel organe, la longueur d'une « patte », l'envergure d'une aile, le simple retroussis d'un ruban. Il est in point cependant, par où toutes les coiffes bretonnes sont sœurs : et c'est qu'elles sont blanches, -blanche d'une blancheur un peu rigide, que l'empois teinte de sa note finement bleutée. Beaucoup sont d'une architecture si fragile que leur édifice s'effondrerait au moindre souffle, sans une savante distribution de cet empois qui le soutient et le consolide comme un ciment. Aussi l'humble industrie du repassage s'élève-t-elle, en plus d'une campagne bretonne, à la hauteur d'un art et presque d'un sacerdoce. Longez l'unique rue de la grosse bourgade finistérienne de Rosporden. Parmi le monotone défilé des auberges et des boutiques, voici s'offrir une devanture qui semble rayonner de la clarté et de la joie sur tout le gris d'alentour. C'est l'atelier de la repasseuse en vogue, - une officine de blancheurs immaculées. Là se tuyaute à la paille les larges cols évasés en calices, là prennent ces échafaudages compliqués, d'une si élégance sveltesse aérienne, qui, demain, se balanceront au rythme de la marche comme ce navire de la chanson dont « les voiles étaient de dentelle ». Même expatriée, la Rospordinoise continue de faire blanchir ses coiffes chez la repasseuse de son pays. Et, si un jour vient où elle y manque, c'est qu'elle a dépouillé sa coiffure, et, avec elle, son âme d'antan. »

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