ROSPOR EDEN

Rosporden 2023, HPPR rend hommage à Pierre Loti et en particulier à son oeuvre "Mon frère Yves"

Pierre LOTI et la chapelle Notre-Dame de Bonne Nouvelle, par Monique TALEC

            Pierre Loti, Julien Viaud à l'état-civil, découvre la Bretagne à partir de son entrée à l'Ecole Navale à Brest en 1867. Il mène ensuite une carrière de marin doublée de celle d'écrivain à partir de 1878. Parce que son ami matelot Pierre le Cor a épousé une Rospordinoise en 1877, l'écrivain séjourne régulièrement dans la cité des étangs. Et séduit par la culture bretonne, il se fait même broder un habit melenig qu'il aime porter pour se rendre aux fêtes et pardons, tout particulièrement à celui de Bonne Nouvelle renommé dans toute la région et fréquenté non seulement par les paysans mais aussi par les marins de la côte proche et par leurs familles.

            Après Aziyadé (1879), Le mariage de Loti (1880) et Le roman d'un spahi (1881), toujours s'inspirant de sa propre vie, Loti se lance dans l'écriture de Mon frère Yves qui paraît le 13 octobre 1883. Le personnage d'Yves est inspiré par Pierre le Cor dont Loti raconte la vie de marin ainsi que son histoire à terre (Saint-Pol-de Leon, Plouherzel, Paimpol, Brest, Rosporden) le baptême du premier né, la construction d'une maison, les fêtes à Rosporden et à la chapelle Notre-Dame de Bonne-Nouvelle « qui est seule au milieu des bois comme si elle s'était endormie là, et oubliée depuis le Moyen-Age. »  Il s'y rend la veille du pardon : « Deux femmes étaient arrivées, l'une jeune, l'autre fort vieille et caduque ; elles portaient le costume de Rosporden et paraissaient avoir fait longue route. Elles tenaient à la main de grandes clefs. C'était pour ouvrir le vieux sanctuaire, qui reste fermé tout le long de l'année, et préparer l'autel pour le lendemain.

… Sur le pied de Notre Dame on avait déposé par pitié une tête de mort trouvée dans la terre du bois. Le crâne crevé, toute verdie, elle nous regardait du fond de la chapelle avec ses deux trous noirs »

            Loti est encore là le lendemain : « Un temps un peu morne, mais exquis, pour ce jour de pardon. Dix heures durant les binious ont sonné devant la chapelle, sous les grands chênes, et les gavottes ont tourné sur la mousse.… Vieux pays de Toulven, grands bois où il y a déjà des sapins noirs, arbres du Nord, mêlés aux chênes et aux hêtres ; campagnes bretonnes, qu'on dirait toujours recueillies dans le passé... »

            Anatole le Braz qui fréquentait Rosporden au temps de Loti célèbre aussi la chapelle. Il écrit : « Au pilier de la boiserie au-dessus de laquelle est l'image, tous les Bretons et Bretonnes viennent appliquer leurs lèvres... On apporte beaucoup d'essaims en offrande mais il y en a toujours un qui vient de lui-même trouver la vierge... Pèlerinage. Pour les gens affligés de leurs membres. Et pour avoir bonheur, chance, nouvelles bonnes. Vrai pardon d'autrefois. Une idiote dans une petite voiture à bras demande l'aumône dans une boîte à sardines en guise de sébile. Le lieu est Krec'h-riel ».

            A diverses reprises, Loti vient au pardon de Bonne-Nouvelle qui suit celui de Rosporden comme nous le raconte son filleul Julien dans son livre de souvenirs. Il séjourne même avec toute sa famille à Rosporden en août 1890. C'est à cette occasion, qu'ils se font photographier devant la maison de Pierre le Cor et Marie Anne le Doeuff en costumes bretons, ce que relate la presse locale : « Les fêtes annuelles ont eu lieu hier... Un grand nombre d'étrangers étaient venus dans notre petite ville pour jouir du coup d'oeil si charmant qu'offrent les assemblées bretonnes. Beaucoup de dames de Rosporden s'étaient déguisées en paysannes. On a remarqué, également déguisés, Mme et M. Pierre Loti, le romancier et exquis poète bien connu. »

            Héritier de huguenots persécutés au XVIIe siècle, Loti est un familier des textes bibliques, élevé dans une foi protestante ardente. Partout dans le monde, les lieux sacrés l'attirent : moraï de l'île de Pâques, mosquées de Perse, Saint-Sépulcre de Jérusalem, antiques sanctuaires de Bretagne  ou temples du Japon et d'Angkor. Ayant atteint les temples d'Angkor le 28 novembre 1901 après une remontée du Mékong, il s'exclame :  « Et c'est mon rêve d'enfant accompli, et je réentends en moi-même la phrase enfantine : j'ai vu l'étoile se lever sur les grandes ruines du passé, sur les temples d'Angkor, la ville du mystère... » Sonder le mystère des lieux sacrés, ce fut la quête inlassable de Pierre Loti. La chapelle Notre-Dame de Bonne-Nouvelle à Melgven appartient à ce monde mystérieux qui le fascinait.

Monique TALEC