ROSPOR EDEN

Rosporden 2023, HPPR rend hommage à Pierre Loti et en particulier à son oeuvre "Mon frère Yves"

Pierre LOTI à Gaza, 1894

 En écho aux sombres moments du Proche-Orient, voici une évocation de Gaza par Pierre Loti, lors d'un voyage en Terre Sainte en mars 1894.

Dimanche 25 mars. Dimanche de Pâques. Gaza, l'une des villes les plus vieilles du monde, nommée déjà dans la Genèse aux ténébreuses époques antérieures à Abraham, (Genèse, x, 19), Gaza fut prise et reprise, anéantie et relevée par tous les peuples antiques de la terre; les Égyptiens l'ont vingt fois possédée; elle a appartenu aux Philistins, aux géants de la race d'Énac (Josué, xi, 21,22), aux Assyriens, aux Grecs, aux Romains, aux Arabes et aux Croisés. Son sol, encombré de débris, plein d'ossements et de trésors, est travaillé jusque dans ses profondeurs. La colline de terre qui la supporte est une colline artificielle, maçonnée par en dessous en des temps reculés et imprécis; ses alentours sont minés de souterrains de tous les âges, aux aboutissements. inconnus; ses campagnes sont criblées de trous sans fond où gîtent des serpents et des lézards.

A plusieurs reprises, elle fut splendide, surtout à l'époque du dieu Marnas, qui y possédait un célèbre temple. Aujourd'hui, les sables ont comblé son port, enfoui ses marbres. Elle n'est plus qu'un humble marché, à la porte du désert, où s'approvisionnent les caravanes.

Son aspect est resté sarrasin; au-dessus de l'amas délabré de ses maisons, s'élèvent des mosquées et des kiosques funéraires aux coupoles blanches, s'élancent des palmiers sveltes et de grands sycomores.
Pays de ruines et de poussière. Quartiers d'argile, de boue séchée, avec çà et là, incrusté dans les matériaux vils, un vieux marbre sarrasin, un blason des croisades, un morceau de colonne antique, un saint ou un Baal. Débris de temples, pavant les rues; frises de palais grecs, par terre, au seuil des portes. Peu de passants, et bien entendu, aucune trace de voitures; des dromadaires, des chevaux, des ânons. Quelques immobiles turbans, blancs ou verts, assis sur les marches des lieux d'adoration. Tout le mouvement, dans le bazar obscur, couvert de palmes fanées, où des Bédouins des différentes tribus du désert achètent, avec de l'argent de pillage, des harnais de chameaux, des étuis de sabre, de l'orge ou des dattes.
  […]

Dans les quartiers hauts, nous nous arrêtons en un point d'où se découvre toute la Gaza grise aux maisons de terre, ses quelques minarets, ses quelques dômes blanchis environnés de palmiers; puis, les restes de ses remparts, d'époques imprécises, dont le plan ne se distingue plus et qui se perdent dans les cimetières. Un monde, ces cimetières envahissant la campagne; dans l'un d'eux, sous un sycomore, des femmes en groupe pleurent bruyamment quelque défunt, suivant les rites officiels, et leurs lamentations chantantes s'élèvent jusqu'à nous. Beaucoup de beaux jardins ombreux, beaucoup de sentiers bordés de cactus, par où remontent des cortèges d'ânons apportant en ville de l'eau dans des outres. Et enfin, la mer lointaine, les orges tout en velours et les sables du désert. Un grand panorama mélancolique, auquel il est difficile d'assigner une date dans la suite des âges, et là-bas, couverte de tombeaux, la colline isolée où Samson, sortant une nuit de chez la courtisane, alla déposer les portes de la Gaza des Philistins (Juges, xvi, 2, 3)

Source : Pierre LOTI, La Nouvelle Revue, tome XCI, novembre 1894, sixième partie : Le Désert,  pp. 456-457...460 (consultable en ligne, sur Gallica )

Une pasion du monde, sur les pas de Pierre Loti

 Il est trop tard, hélas

L'association "Bateau Cap Sizun" et Gilles LUNEAU