ROSPOR EDEN

Rosporden 2023, HPPR rend hommage à Pierre Loti et en particulier à son oeuvre "Mon frère Yves"

Notes du Journal de Pierre LOTI sur la Bretagne et la Mer

Lorient, 21 septembre 1878

Aussitôt la Moselle amarrée a fond du port de Lorient, je gagne le bois de Pendref. C'est une belle journée de septembre en Bretagne : un soleil pâle, quelques ondées passagères qui couvrent les chemins de feuilles mortes ; sous les arbres, le sol est tapissé de bruyères fleuries et des dernières scabieuses de l'été. (Page 26)

En mer, 27 juin

La Moselle longue une fois de plus les côtes de Bretagne, en dedans des îles et des dangers.
Quelques instants passés à Quiberon par un temps affreux. Je me sauve à terre et vais jusqu'aux alignements du Ménic. C'est bien triste, ce pays, mais si breton. La lande, la vraie lande bretonne, rose de bruyères, absolument rose, avec çà et là de larges fleurs bleues, exquises de couleur et de forme. Et, sur cette étendue rose, tout en peuple est débout, tout un peuple de menhirs aux tournures de géants caducs et bossus. Je me couche dans la bruyère et regarde par dessus ce monde de vieux fantômes de pierre qui se dressent sur le ciel lourd et gris. Au loin, l'océan, dont on aperçoit la ligne verte, fait entendre son grand bruit monotone ... (Page, 95)

Jeudi, 18 septembre

Égares dans  la brume depuis trois longs jours. Situation dangereuse. Tous les yeux se fatiguent à veiller. Vers sept heures du soir, aperçu les lueurs rouges du phare des Pierres Noires dont nous nous croyons fort loin ; puis le phare de Saint-Mathieu apparaît vaguement aussi. Route à l'est-nord-est. L'espoir renaît un instant d'entrer de nuit à Brest ; mais de nouveau, l'épais voile sombre passe sur les feux ; force nous est de retourner au large. (Page 97)

Dimanche, 22 août

La pluie tombe toujours et la mer grossit. Pourtant de bonnes vielles Bretonnes arrivent dans des barques de pêcheurs, pour dire adieu à leurs fils matelots. En route, les embruns les ont toutes mouillées et les beaux "coiffis", les pauvres petits châles verts des dimanches qu'elles ont cru devoir mettre pour la circonstance vont être perdus. Mais elles ne pensent qu'à embrasser leurs fils, ces bonnes vieilles, et cela fait quelque chose au cœur de les voir ainsi ... (Page 183)

Lundi, 23 août 

Quand je reviens, au grand port de Brest, prendre le canot pour rentrer à bord, une brume commence à embrouiller les tours sombres du Vieux Château et à faire pâlir la lune. A peine sommes-nous en rade qu'on ne voit plus rien. Le voile s'épaissit tellement, que je n'aperçois seulement pas l'avant de mon canot. Nous marchons longtemps à l'aviron, en aveugles, dans une direction probable. Nous approchons de l'escadre, on entend les vaisseaux sonner du clairon, pour se faire reconnaître. Nous tombons successivement sur plusieurs masses noires, auxquelles nous demandons : "Comment vous appelez-vous?" les factionnaires répondent : "Suffren !, Gauloise!, Surveillante ! ..." Le Fiedland est le dernier, plus loin. Il est une heure du matin quand nous arrivons à bord tout trempés. (Page 185).

Pierre LOTI, Journal intime, 1878 - 1881, Paris, Calmann-Lévy, Éditeurs, 1926