« La petite rivière d'Aven, qui sépare l'arrondissement de Quimper et celui de Quimperlé, s'y jette et en ressort assez forte pour pouvoir un peu plus loin faire flotter des barques. […] Les belles eaux de l'étang de Rosporden, qui baignent les murs de l'église et qui sont traversées par le viaduc monumental du chemin de fer de Nantes, offrent, avec la flèche gothique qui s'élève au-dessus des arbres, un point de vue des plus pittoresques, choisi par notre artiste pour représenter le tableau animé d'une lutte en Cornouaille »
La lutte, p. 26 :
« Les prix n'y sont plus offerts par des princes ou par de grands seigneurs, mais plus habituellement par un riche fermier, lorsqu'il veut faire fouleur, par le piétinement une aire neuve à battre le grain. Les luttes ont lieu encore à l'occasion de certains pardons […] Les luttes sont annoncées d'avance dans les paroisses des environs. « Que ceux qui ont des oreilles pour entendre, entendent, dit le crieur, et qu'ils le redisent aux sourds. Tous les lutteurs sont appelés. L'arbre portera ses prix. Faites passer dans vos manches l'eau des bonnes fontaines. »
Au jour convenu, on voit donc arriver la foule dans le village désigné. La bombarde, le biniou et le tambourin annoncent de loin la fête. Les juges du camp s'efforcent à grand' peine de former l'arène, au cri de Lice! Lice ! ( Place ! Place!) et déploient à cet effet de longs fouets qui font reculer les hommes. D'autres, par galanterie pour les femmes, promènent une poèle à frire qui régularise les contours du cercle par menace de noircir toutes les coiffes mal alignées. Les spectateurs de deux premiers rangs sont accroupis sur leurs talons, les autres sont debout ou perchés en amphithéâtre sur les arbres voisins. Tous suivent avec anxiété les préludes, puis les péripécies du combat. Les préparatifs terminés, les champions commencent à paraître. Plus pudiques que les grecs, qui luttaient entièrement nus, les lutteurs bretons spnt vêtus de leurs bragou et d'une chemise serrée au corps pour offrir moins de prise à l'adversaire. Leurs longs cheveux sont noués sur la nuque par une torsade de paille. L'un des athlètes choisit aux branches de l'arbre ou de la fourche plantée en terre par le manche et qui, suivant l'annonce, « porte des prix comme le pommiers des pommes, » un gage, le plus habituellement un chapeau ou une ceinture, qu'il agite en l'air ; puis il se met à faire le tour de l'enceinte, en cherchant un antagoniste. Si le prix est un mouton, il le détache du pied de l'arbre et, l'enlevant à bout de bras, il promène lentement le regard sur l'assemblée avec cette audace du geste qui distingue l'aristocratie musculaire. Après trois tours, s'il ne trouve point de rival qui se sente assez vigoureux pour accepter ce muet défi, le gage est acquis sans combat à e lutteur redoutable. Mais s'il se présente un second champion qui veuille le lui disputer, il lui crie « Chom a-za »! (halte-là!) C'est lui annoncer que le gant est relevé et que le combat va commencer. Le nouveau lutteur s'avance alors dans l'arène;il touche le premier de l'épaule, lui frappe trois fois dans la main, et se tournant vers lui en faisant ensemble le signe de croix : « N'emploies-tu ni sortilège ni magie ? Lui demande-t-il ? - « Je n'emploie ni sortilège ni magie. - Es-tu sans haine contre moi ? - Je suis sans haine contre toi. - Allons donc ! - Allons!- Je suis de Lanriec – Moi, je suis de Bannalec. » Après ces paroles sacramentelles, un roulement de tambour se fait entendre, puis les deux athlètes se déchaussent, se frottent les mains de poussière afin de les avoir plus âpres et moins glissantes, et se saisissent lentement en se passant la main droite sur l »'épaule gauche et la main gauche sur le flanc droit. Ainsi enlacés, le corps penché en avant, le front collé l'un contre l'autre comme deux béliers, ils font arcs-boutants de leurs jambes et se poussent avec une force qui tantôt se neutralise et les rend immobiles, tantôt les fait s'allonger ou se rapetisser, se plier en acant ou en arrière, tournoyer ou bondir tout-à-coup comme un seul homme. […]
Pour être vainqueur, il ne suffit pas de renverser son antagoniste, il faut que celui-ci reçoive un Lamm, c'est à dire tombe sur le dos.[...] La défaite d'un des lutteurs est annoncée par sa chute, dont le bruit est couverts par les hourras de l'assistance : Lamm zo ! Le tumulte devient effroyable, les rangs se rompent, les gars de son village s'élancent au devant du vainqueur, ils l'enlèvent dans leurs bras, ils le portent en triomphe. Le prix, qu'il a bien mérité, lui est aussitôt délivré, et le bruit des danses, le chant des buveurs terminent cette belle journée... »
BENOIST, Félix, La Bretagne contemporaine, Paris, Charpentier 1865, Finistère, pp. 25-26.
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